Suite à la newsletter Des mots & des histoires #1, Catherine a bien voulu partager un peu de son vécu avec l'écriture. Merci pour ces deux textes qui, écrits à deux périodes bien distinctes, illustrent combien l'écriture vient toucher l'intime et les profondeurs de l'être...
Sommaire de l'article :
Toto
[texte écrit à partir de la proposition d'écriture de la newsletter]
C’était la première année de mon parcours scolaire. J’avais 6 ans et je venais d’entrer à l’école pour la première fois : la 11ème (qui deviendra le CP d’aujourd’hui) et qui marquait une étape importante dans la vie des enfants.
Il faut préciser qu’à cette époque il n’y avait pas de « crèches » ni même de « maternelles ».
Donc, à 6 ans, je ne savais ni lire, ni écrire, ni compter, mais on m’avait dit que j’étais là pour apprendre… alors j’ai appris !
Au bout d’un mois ou deux il me semblait avoir franchi des sommets et sans doutes ai-je voulu le faire savoir.
Après la récréation nous étions rassemblés en rang deux par deux devant la porte de la classe sous le préau et attendions l’arrivée de notre institutrice. Comme le temps d’attente me semblait bien long et que j’avais récupéré un petit morceau de craie blanche, je me suis appliquée à écrire sur le sol le mot « toto », toute seule et sans modèle ! Quelle fierté : je savais écrire ! C’était le premier mot que j’avais d’abord trouvé dans ma tête et ensuite reproduit pour le faire lire aux autres, j’avais du mal à contenir ma joie.
Hélas, quand la maitresse a découvert mon « œuvre », au lieu des louanges attendues j’ai été grondée, punie, et condamnée à effacer le premier mot d’écriture de ma vie !
Il me reste encore aujourd’hui ce sentiment d’incompréhension, d’injustice, et je revois très nettement l’image du toto écrit sur le sol en ciment gris.
Je crois que ce petit drame m’a ouvert la porte à la révolte contre l’injustice, et peut-être aussi à l’envie d’écrire où je voudrais, comme je pourrai…
Catherine
Le Bistrot
[texte écrit lors de déplacements professionnels dans les années 1990]
Il en existe encore des bistrots Bar-Tabac-PMU-Epicerie, dans quelques villages de France. Je m’y arrête, pause sur le chemin…
Tout au fond, le comptoir, immense, tout encombré de cendriers, et sur lequel l’œuf de Prévert se fait discret à coté du distributeur de cacahouètes, au mur des affiches publicitaires un peu jaunies. Les pronostics du tiercé voisinent avec les photos de l’équipe de rugby.
Le patron, armoire à glace vieillissante, est sans doutes l’ancienne gloire locale !
Autour de lui gravitent les supporters, ça entretient un épais brouhaha, les gens entrent, se connaissent ou se reconnaissent à grand bruit.
Je suis là, dans mon petit coin, sur la banquette de skaï usée, mon café, mon cahier, mon crayon…
Je regarde, j’écoute, je sens. Peu à peu les bruits, les fumées, les couleurs, les images, les formes et les lumières se fondent en une sorte de ouate brumeuse autour de moi. Je fais mon nid comme l’oiseau, brindille après brindille, bruits et odeurs mêlées. J’oublie les choses à faire dans les tranches de cake de mon quotidien.
Petit à petit, je fige autour de ma bulle les gesticulations désordonnées, je cristallise les voix sonnantes et les murmures, je fixe les odeurs… et, mon crayon à la main, j’entre alors dans ce merveilleux arrêt sur image, pour relater en noir et blanc le flou du film de ma vie.
Je deviens moi-même, sans témoin ni témoignage, sans devoirs, sans besoins, un instant hors du temps pour te retrouver dans mon souvenir et redevenir seulement ta fille.
Tu vois, chez moi, dans cette vie de tous les jours, je ne peux plus partager notre mémoire, comme si notre livre d’histoires avait fermé ses pages.
Alors, je viens les rouvrir et les partager avec toi, sur mon papier, dans ces vieux bistrots, seule avec toi, un instant hors du temps…
Car ici, vois-tu, je ne suis quelqu’un pour personne !
Catherine
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